vendredi 4 août 2017

Le Jeu de la conscience - I

La philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ en sanskrit)
n'est pas une philosophie parfaite.
Je n'en suis pas l'adepte inconditionnel,
dont la mission serait de la propager.
Mais je trouve, après un temps de réflexion,
qu'elle est digne de servir de matrice à ma réflexion,
et à celle de celles et ceux que cela intéresse.
Voilà pourquoi je partage ses textes depuis quelques années.



L'un des textes les plus puissants de la Reconnaissance
est Le Coeur de la Reconnaissance, dont j'ai publié une traduction
sous le titre Au Coeur des tantras.
C'est un ensemble de vingt aphorismes expliqués,
le tout composé par Kshémarâdja, le disciple
et cousin, semble-t-il, du philosophe le plus célèbre 
de la Reconnaissance, Abhinava Goupta.

Ce Coeur de la Reconnaissance, aussi connu sous le nom 
de Soûtras de la Shakti, transmet l'essentiel de cette philosophie tantrique
et non-dualiste, originale et profonde.
L'un de ses aspects les plus séduisant est sont incomplétude :
elle ne répond pas à toutes les questions que l'on pourrait
légitimement se poser,
et ainsi elle appelle de notre part une réflexion personnelle,
nouvelle, sur des questions qui n'ont pas pu être développés
par les Auteurs fondateurs, où qui n'avaient pas de sens pour eux,
ou qui n'existaient pas à leur époque.
En tous les cas, il est toujours passionnant, à mon sens,
de continuer une pensée.
C'est l'essence de la tradition, qui est toujours une transmission.
Autrement, tout cela ne serait qu’érudition
et pur travail de bénédictin.

Or, il existe 
un petit poème,
Le Jeu de la conscience,
qui a été publié notamment à partir de manuscrits
de la bibliothèque de Bénarès,
et qui est une version 
du texte de Kshémarâdja.
J'en avais publié une traduction sur mon site,
puis je l'avais retirée.
Voici un nouvel essai de traduction.
Chaque article comportera un verset,
avec un libre commentaire.

En toutes circonstances,
je salue Shiva,
lui qui déploie à chaque instant
les cinq actes (: création, maintient, résorption, voilement et dévoilement),
lui qui (fait tout cela) pour finalement
en révéler le sens ultime,
à savoir, notre propre Soi (qui est Shiva),
et qui est, de bout en bout,
plaisir, (c'est-à-dire) conscience. 1

Shiva est synonyme de "Dieu",
tout simplement.
Saluer Dieu, lui rendre hommage,
ça n'est pas seulement reconnaître l'Autre,
mais c'est le reconnaître en soi,
dans le Soi.
Et qu'est-ce que le Soi ?
Le Soi est la conscience.
Et qu'est-ce que la conscience ?
La conscience est "plaisir" (ânanda),
que l'on traduit parfois par "félicité",
terme un peu terne pour décrire 
ce qui expansion créatrice,
déploiement de soi, extase et qui,
finalement, est identique à la conscience.
La conscience est expansion,
l'expansion est plaisir.
Ces mots sont interchangeables.
La conscience est "être" ;
mais être, c'est un plaisir.
Même dans la douleur
gît un plaisir brut,
dont la douleur est le prolongement grossier.
Pourquoi grossier ?
Parce que d'habitude,
nous ne faisons pas attention
à ce plaisir subtil sous-jacent,
à cette vibration qui ne fait qu'une
avec notre être,
avec le fait d'être.
Ainsi, rendre hommage au divin créateur,
c'est reconnaître ce Fond présent en toute expérience,
ou plutôt en qui toute expérience
a son être et sa vie propre.
Comme des poissons dans l'eau,
nous ignorons ce qui nous est le plus proche.
Mais, dira-t-on, cette "vie" n'est pas que création
dans l'extase, loin de là !
N'est-elle pas aussi destruction,
mort et disparition de toutes choses 
dans le Ventre insatiable du temps ?
Mais alors, quoi bon tout cela ?
La Reconnaissance ne donne pas de réponse
détaillée, sous la forme d'une histoire.
Mais elle pointe vers la réponse 
qui est le coeur palpitant de nos vies
en quête de sens. 
Car ce sens de la vie,
nous ne pouvons le formuler.
En effet, cela reviendrait à justifier
l'existence du Mal,
la souffrance des enfants et toutes ces choses.
Justifier le Mal, n'est-ce pas
le pire des maux ?
La Reconnaissance se contente de pointer vers la réponse :
dévoilement.
Mais c'est une réponse vague,
un mystère, pas un point final.
C'est un sens ultime, à vivre,
juste pour nous donner la force de vivre,
nous reconnecter à la Source,
et trouver l'inspiration de trouver les réponses
à chaque situation, à chaque question précise.
Ainsi, nous connaissons la fin ultime de l'Histoire,
mais il ne nous est pas donné de trouver LA Réponse
absolue qui serait la solution à toutes
les questions que l'on peut se poser.
Mais en se connectant avec ce Sens absolu,
avec ce Sens ressenti par chaque corps
parce que ce Sens ne fait qu'un avec la Vie ressentie,
nous pouvons trouver les réponses à nos questions.
Ainsi, nous savons déjà tout,
en un sens. 
Nous sentons la Réponse à toutes les questions
quand nous sentons notre être,
le plus profond de nos entrailles.
En même temps,
nous devons toujours chercher
le sens de ce qui arrive ici et maintenant.
Ce paradoxe est très profond.
Je sens au fond de moi la Réponse,
comme une intuition,
obscure et lumineuse à la fois,
que je ne peux dire,
mais aussi qu je ne peux m'empêcher
de vouloir dire.
Transcendant,
j'aspire à l'incarnation.
Universel,
je désire le singulier.
Transpersonnel,
je veux le personnel,
l'éternité dans un instant,
l'océan dans une goutte.
Je désire l'impossible.
Ce désir est l'absolu,
nommé "liberté" dans le prochain verset.

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